10/09/2024
Dans ma vie d'autrice, j'ai par deux fois avancé sur des textes avec obstination, alors qu'il aurait fallu reprendre les bases. Comment on passe de cinq ans à trimer sur le même roman, à annoncer "bon, je vais tout recommencer" sans sourciller ? Histoire d'un apprentissage.
En 2017, je commence à écrire un roman. En 2018 je le termine, et jusqu'en 2022, je le retape. Inlassablement. Je refuse de m'en défaire, je traîne des pieds quand il faut écrire sur autre chose tant que ce roman ne sera pas terminé, jusqu'à ce que je réalise que je ne suis plus l'autrice que j'étais il y a cinq ans, et que je ne serai jamais satisfaite de ce roman.
Ce n'était pas grave. C'était même rassurant : ça voulait dire qu'un manuscrit pouvait être comme un vêtement d'enfant, parfaitement à la bonne taille jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'on a grandi et qu'il ne peut plus contenir ce qu'on est devenu.
(Même Simba finit par devenir grand, c'est ainsi. Désolée si vous avez L'Histoire de la vie en tête.)
J'en avais déjà parlé sur Instagram (où j'ai initialement lancé la série des "De l'art de..."), et j'en concluais que ce manuscrit, si j'avais eu besoin de l'écrire, je n'avais pas besoin d'en faire quelque chose. J'avais même très justement écrit "il faut se pardonner de ne pas réaliser les rêves qu'on a un jour eu", un mantra qui me tient particulièrement à cœur encore aujourd'hui, et une très bonne amie m'avait conseillé d'écrire sur ce que j'avais envie maintenant, pas sur ce dont j'avais eu envie d'écrire il y a cinq ans. La sagesse, mes ami·es, ça se partage.
Ainsi donc, j'ai laissé ce manuscrit dans les tréfonds de mon ordinateur (et imprimé et relié dans ma bibliothèque, encore orné des notes de ma dernière relecture), et je me suis lancée sur autre chose. Il est drôle de constater que le roman que j'ai commencé à écrire ensuite subira, peu ou prou, le même sort. En 2021, non contente de moi-même trouver l'amour, je me mettais en tête d'écrire une romance. Pas une rom-com, bien que j'adore le genre : je ne m'estime pas très drôle, à l'écrit, et sans "com", la recette ne prend pas aussi bien. Très vite se dessinent deux personnages, une intrigue, tout tient la route selon la formule classique de la romance (rencontre, premier contact physique, baiser, sexe, rupture, réconciliation), bref, tout va pour le mieux sous le Sunlight des Tropiques... ou pas.
Cette histoire, bien que je l'adore, me laisse sur le bout de la langue un je-ne-sais-quoi qui m'empêche d'avancer. J'écris quand même un peu plus de 40 000 mots sur ce que j'appelle "le premier premier jet", sans aller au bout. Je décide d'abord, en 2023 (deux ans après, oui, entre deux j'ai travaillé sur la sortie de mon premier roman, L'Hôtel Imaginaire, ça m'a bien occupée), de tout réécrire à la troisième personne du singulier, moi qui pourtant n'écrivait quasiment qu'à la première, jusqu'ici, dans l'espoir que ça suffise. Que ce soit un changement assez gros pour résoudre tous les problèmes que j'ai avec cette histoire, alors même que je n'en discerne pas la moitié.
Évidemment, vous vous en doutez (sinon, ce billet d'écriture n'existerait pas), ça ne marche pas. Ou plutôt, ça marche, mais ça ne suffit pas : on ne répare pas un barrage fissuré avec du sparadrap. Cette romance, je me la traîne depuis déjà 3 ans, maintenant, et je ne parviens pas à en faire ce que je veux. Et s'il était temps de réfléchir, au lieu de m'entêter ? J'en suis venue à un point de non-retour, où je me sens obligée de la finir sans avoir aucune envie de continuer à l'écrire. Je sais les fondations bancales, l'intrigue capillotractée par moments, les conflits internes des personnages mal gérés. Ce n'est pas grave, dans un premier jet, mais à ce stade ça me dérange et ça m'empêche d'avancer.
En plus, et peut-être surtout, j'ai envie d'écrire autre chose.
Après beaucoup, beaucoup de réflexion, et l'appui du génial cerveau de l'amie qui était déjà de bon conseil en 2022 et qui m'aide à brainstormer, le problème majeur devient limpide : cette romance, ce n'est pas une romance. Cocasse. Après quelques minutes de dépit (et au lieu d'y passer cinq ans, comme la première fois), la décision vient vite. Si ce n'est pas une romance, il faut arrêter de l'écrire comme telle, et recommencer à zéro. On efface tout et on recommence, mais pas tout de suite. Entre 2021 et 2024 j'ai appris, et maintenant je lâche prise sans trop de stress ni de culpabilité. Cette romance-pas-une-romance, je l'écrirai un jour où l'autre (ou pas, d'ailleurs, et le monde n'en cessera pas de tourner), mais en attendant, et pour lui laisser le temps de mûrir, de gonfler comme une bonne pâte à pain, je vais me pencher sur un projet qui m'enthousiasme bien plus et fait vibrer mon âme d'autrice.
(mon roman, pas encore prêt à enfourner)
Ainsi donc, aujourd'hui j'accepte qu'il faut parfois tout reprendre du début, et je réalise qu'il y a dans cet exercice une certaine liberté jusqu'ici insoupçonnée. Il y a une force qui fait avancer, dans l'acte de dire "j'ai créé ceci, ce n'est pas ce que je voulais, ce n'est pas pour autant mauvais, mais je n'y toucherai plus". Mais tout recommencer, ce n'est pas forcément ramasser la glaise pour en faire une nouvelle boule ; c'est parfois mélanger l'argile et l'eau dans un nouveau récipient, en ayant en tête un projet qui n'a absolument rien à voir.
A la fin de septembre 2024 sort mon premier roman, et je découvre la peur apparemment universelle de ne plus savoir écrire. Et si j'étais incapable d'écrire à nouveau un roman entier ? Un roman publiable ? Et si celui-ci était le seul, l'unique, à la fois le début et la fin du chemin ?
Calmos, la vie est un éternel recommencement. Mes craintes sont légitimes, mais elles n'en sont pas moins stupides (ça aussi, le réaliser donne de la force), et surtout, elles sont fausses et limitantes. Il n'y a qu'en faisant qu'on apprend, et c'est en écrivant peu importe la finalité du projet (dans un disque dur, dans un tiroir, sur les étals d'une librairie) qu'on avance. Alors ici aussi, je reprends tout à zéro. J'ai avec moi le carnet qui me sert à noter mes idées d'écriture, mes jolis stylos, et la médiathèque ouverte pour aller y planifier ce nouveau roman.
Je ne sais pas exactement quelle conclusion apporter à ce billet, si ce n'est qu'il faut parfois se forcer à retourner à la case départ. Ça ne veut pas dire abandonner, on a tout loisir d'y revenir plus tard — c'est comme le linge propre, on finira toujours par le ranger. Savoir s'arrêter, savoir dire "pause", c'est aussi savoir ouvrir ses horizons à d'autres possibles. Et si vous êtes capable d'écrire sur plusieurs manuscrits en même temps sans vous emmêler les pinceaux, je vous déteste cordialement (et vous jalouse secrètement).
J'espère que vous, ça va, et que votre rentrée, peu importe sa forme, se passe bien !